Notre réflexion s’est développée à partir de notre participation aux ateliers réflexifs de l’association ATD Fédération, que nous coanimons régulièrement.
Notre rapport aux écrans est complexe, il séduit, il informe, il est utile, il ouvre des possibles, il favorise le lien, il stimule, il fascine, s’insinue de telle manière que nous ne pouvons plus nous en passer, d’autant plus que les pouvoirs publics l’imposent comme mode indispensable du citoyen à son égard pour assumer ses obligations et faire ex-sister ses droits.
Un écran est à la fois ce qui cache et ce qui révèle. Il peut cacher tous nos émois, nos angoisses, nos questionnements et vient attester qu’un autre monde peut faire diversion. Parfois, il peut nourrir notre appétence libidinale, notre désir, dès lors que le pouvoir hypnotique de l’écran n’a pas été fatal pour le maintien de notre capacité de conscience, nos investissements relationnels et ne substitue pas le regard éclairé envers nous-même et envers quelques autres, dont particulièrement celui des enfants.
Car lorsque le regard devient absent, ne se développe plus, le Sujet devient absent à lui-même et au monde.
Les écrans seraient-ils un miroir de la dynamique familiale[1] ?
Telle serait la question que peut se poser la psychanalyste ! Savoir s’il est moralement répréhensible de regarder la télévision avec son enfant à ses côtés, ou quelles pourraient être les solutions à mettre en œuvre pour le parent à sortir de sa dépression ? À force de diaboliser les écrans – que ce soient la télévision, les tablettes, l’ordinateur, le portable – et leurs usages, on en vient à oublier le contexte dans lequel ils voient le jour et ce qu’ils viennent révéler de situations qui existaient bien avant leur commercialisation.
La télévision n’a pas inventé la dépression maternelle, mais ses images distraient et enveloppent même les mères qui ne vont pas bien. Il ne s’agit pas de ne rien faire, mais de ne pas se tromper de cible thérapeutique. L’objet peut posséder des vertus proprement thérapeutiques, car il suscite la complicité entre la mère, ou le père et l’enfant, il valorise ce dernier. L’attention conjointe, l’échange de regards complices après avoir vu la même image, sont constitutifs sur le plan psychique. Et parfois il participe à la structuration du développement psychique de l’enfant en participant à la construction de son Surmoi et en lui offrant des images identificatoires vicariantes.
Celle que nous appellerons Saphia a une quarantaine d’années. Nous l’avions déjà rencontrée pour une première tranche de thérapie précédemment pour un malaise important dans sa vie de toute jeune femme. Depuis, elle s’est mariée, a réussi des études hospitalières, exerce en psychiatrie et est particulièrement appréciée par l’équipe et la direction qui ne cessent de la complimenter et l’invite à poursuivre des études plus poussées pour asseoir et développer ses compétences.
Saphia éprouve le besoin de reprendre une tranche de travail psychanalytique, elle reste régulièrement angoissée, le sentiment de vide rôde et le regard de l’Autre lorsqu’elle l’élève au statut de Maître par effet de son discours bien assuré, la met encore à rude épreuve.
Elle souhaite avec son conjoint adopter un enfant. Le prochain entretien avec les professionnels du service d’adoption portera sur les principes éducatifs qui les orientent tous les deux, et l’échéance arrive bientôt. L’angoisse s’amplifie. Face à la si grande carence familiale, que dire quant à des principes éducatifs reçus, sur lesquels elle pourrait s’appuyer ? Saphia a beau chercher, rien ne vient, que dire, qu’exprimer ? Nous ponctuons son silence en relevant le fait que régulièrement elle témoigne au cours des séances combien sa vie est orientée par une recherche constante d’une posture éthique et de choix les plus ajustés, avec une réflexion conséquente et riche.
Elle reste étonnée de l’observation de son analyste. « Saphia, qu’est-ce qui vous a aidé, vous a apporté des repères pour votre quotidien et vous a aidé à vous socialiser au mieux ? » Après un long temps de silence, une évidence apparaît. Eh bien je regardais régulièrement « la petite maison dans la prairie », cela m’a beaucoup enseignée.
Saphia a été encouragée à partir de cette prise de conscience à conscientiser ce qui l’oriente aujourd’hui et à le formaliser dans un esprit d’échange et de dialogue avec son conjoint, afin de préparer l’entretien avec l’équipe du service.
Nous avons ainsi l’exemple d’une expérience d’un certain usage d’un écran à une certaine époque, qui avait permis de faire face à un si grand isolement familial, de soutenir une position dépressive qui avait du mal à s’extraire et de nourrir inconsciemment une capacité chez ce petit Sujet, cette petite fille, à se projeter dans l’avenir.
Mais si paradoxalement, la surface de l’écran de la télévision doit être de plus en plus grande, celle des smartphones doit être la plus restreinte possible pour sa bonne tenue dans une poche, même si aujourd’hui, elle peut s’agrandir quelque peu. Ainsi, si nous avons été au départ bien inquiet de l’usage de la télévision, aujourd’hui, celui-ci parce qu’il permet un regard commun et partageable, semble moins dangereux que celui du smartphone qui reste à la discrétion totale de son utilisateur.
C’est ainsi que nous poserons que Les écrans, leur usage en relève de l’usus avec de belles possibilités et de l’abusus au sens lacanien du terme, comme tout ce qui peut se pervertir chez l’humain.
Les risques pour la santé ?
Les conséquences de l’utilisation intensive des écrans numériques et l’exposition à la lumière bleue sont à prendre au sérieux. Il est à noter que les écrans LED altèrent la synthèse de la mélatonine, l’hormone du sommeil, et retardent l’endormissement alors que les écrans OLED seraient moins nocifs. Une utilisation massive des écrans engendre des signes de fatigue visuelle allant jusqu’à des troubles musculo squelettiques. Ce syndrome se nomme le syndrome de déficience numérique (SDN).
La surexposition des femmes enceintes aux ondes du téléphone et à la technologie sans fil peut altérer le développement cérébral du fœtus[2] et peut accroître ultérieurement le risque d’hyperactivité, des troubles du comportement et de l’apprentissage à l’école. Selon une étude danoise de 2008, les fœtus exposés aux ondes auraient 54% de risques supplémentaires de présenter des troubles du comportement. Fin d’octobre 2013, l’Anses reconnaissait que les ondes électromagnétiques provoquaient des modifications biologiques mais ne les jugeaient pas dangereuses pour la santé. Une étude norvégienne par observation de 45 389 femmes enceintes et analyse de questionnaires pendant la grossesse, après la grossesse et avec suivi neurologique des enfants de 3 à 5 ans ne corrobore pas cette hypothèse. Elle révèle que les enfants nés d’utilisatrices de téléphones portables avaient même 27% de risque en moins de rencontrer des difficultés à faire des phrases, 14% de risque en moins de développer une grammaire incomplète, 31% de risque en moins de présenter un léger retard de langage à l’âge de 3 ans.
Cependant chacun s’accorde à recommander d’éloigner le téléphone portable du corps maternel porteur de vie quand on passe un appel, en optant pour un kit mains-libres par exemple, de privilégier les sms, d’utiliser le mode avion dès que possible, de choisir son mobile en fonction de son débit d’absorption spécifique (DAS). Plus la valeur de cet indice est basse, moins le téléphone émet d’ondes. Mieux vaut aussi ne pas poser la tablette ou l’ordinateur sur son ventre.
Des vêtements anti-ondes dont certaines marques se sont spécialisées dans la gamme de femmes enceintes, créent des produits avec des doublures protectrices à base de fibre d’argent, qui neutralisent les ondes. Mais ils sont assez onéreux, et sont contestés dans leur réelle efficacité.
Pour les infans, le risque est que bébé s’habitue à rester immobile devant l’écran, sans bouger ni jouer à ses activités ludiques indispensables à son développement. De plus, il s’attache très rapidement aux stimuli les plus présents dans son environnement, et particulièrement dans sa posture de contredon, il cherche à s’adapter, voire se suradapter à ce qui favorise le meilleur état chez son parent. Il est à noter qu’il n’y a pas de rapprochement entre expositions aux écrans et développement du spectre autistique, mais bébé à côté du parent passif sur son écran ne pourra s’autoriser à se développer activement.
À partir de 3 ans, si une surexposition peut générer des troubles du sommeil, de la concentration ou de la vue, des troubles relationnels et de la motricité, des émissions adaptées favorisent une meilleure concentration et ou la reconnaissance des lettres de l’alphabet.
Chez les enfants plus âgés, l’exposition excessive aux écrans peut générer des états dépressifs, anxieux et des troubles du comportement, des signes de tristesse, de vide, de frustration, d’agressivité, avec une absence d’intérêt pour les événements de la vie.
De manière générale, une cyberaddiction génère un risque de repli sur soi, voire de désocialisation augmentant les risques dépressifs et le risque suicidaire, des troubles cognitifs, une difficulté de concentration par surstimulation, des atteintes aux capacités de mémoire, au développement du langage, une augmentation de l’anxiété, des troubles du comportement. Des effets majeurs sont observés tels qu’une augmentation des pensées et des comportements violents, un changement d’humeur (tristesse, anxiété), une perte d’empathie, des modifications physiologiques (accélération du rythme cardiaque, sudation), un arrêt du développement du cerveau.
Les signes préoccupants sont l’endormissement avec son portable, les jeux en ligne, les réseaux sociaux tard dans la nuit au détriment de la vie relationnelle, intime et socio-économique.
Les risques liés au travail ?
L’activité professionnelle sur écran réclame des adaptations indispensables pour préserver une bonne ergonomie, avec une bonne hauteur de l’ordinateur, un filtre pour les ondes, un siège confortable et réglable. Lorsque le poste n’est pas adapté (par une distance à 50/70 cm par exemple), les risques sont l’apparition de troubles musculosquelettiques (TMS) avec lombalgies, tendinites, névralgies, syndrome du canal carpien, mais également fatigue visuelle.
Alors qu’une utilisation modérée des écrans (de deux à quatre heures par jour) a des effets positifs sur le bien-être, définis comme des émotions positives, un bon fonctionnement psychosocial et un sentiment de satisfaction face à la vie.
Cependant, il est une autre difficulté rencontrée dans le cadre du travail. Il s’agit de l’usage de son smartphone dans le cadre de son travail, à des fins personnelles. La situation devient de plus en plus complexe à gérer et peut mettre la situation de l’employé en difficulté. Il se concentre moins, bâcle son travail, est moins motivé et présent à la dynamique de travail, peut se mettre en danger dans l’exécution des tâches (songeons aux travailleurs dans le bâtiment par exemple) et s’angoisse si l’employeur pose des règles plus strictes limitant l’usage du téléphone portable privé aux temps de pause. Il pourrait ne plus être joint directement ou ne plus avoir accès à la source d’information la plus riche au monde et la plus pauvre également.
Ainsi, le virtuel s’est immiscé dans le Réel de notre vie. Comment faisions-nous auparavant, avant cette déferlante, pour gérer nos besoins du quotidien ? Ce virtuel nous rend la vie bien plus aisée, et ce, sous une apparence gratuite. Oui, juste une apparence puisque si c’est gratuit, c’est que nous sommes le produit ! Notre activité numérique étant transformée en base de données, les DATA et les GAFA sont cotées en bourse. Nous sommes de fait dans une forme d’aliénation matérielle, par-delà cette aliénation morale qui nous oriente comme parlêtre, une aliénation qui sait flatter notre narcissisme puisqu’ils ne cessent de flatter ce que nous sommes.
Le virtuel dont nous rêverions qu’il soit, au service du Réel, a bien souvent assujetti celui-ci. C’est bien le Réel qui serait en train d’être capturé au service du virtuel, mais nous savons que le Vivant peut transcender toutes nos fabrications et nous oserions dire, nos machinations.
[1] Michaël Stora dans Spirale, 2017/3.
[2] Selon l’Association environnement santé France (ASEF).